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La tortilla d'Espéranza

Sortons quelques instants de cette France sous la menace du Coronavirus pour repartir sur les hauts plateaux du Guatemala où vivent les indiens K'iché.

Nous voici dans cette bourgade rurale qui répond au charmant nom de Chichicastenango! Après avoir arpenté les allées du grand marché où s'étalent, en un kaléidoscope bigarré, fruits, légumes et tissus aux couleurs vives, nous sommes conviés à déjeuner dans une famille K'iché. L'habitation est sommaire, sans eau courante. L'eau de pluie, recueillie dans de grands bidons, sert pour la cuisine, la vaisselle et la toilette. La table est dressée dans la cour, à l'ombre d'une tonnelle. Mais, avant le déjeuner, Espéranza, notre hôtesse, nous donne un petit cours de préparation de la tortilla. La tortilla est le pain des Guatémaltèques. On la fourre de toutes sortes d'ingrédients: haricots noirs, tomates, avocat, poisson ou viande. Certaines de notre groupe s'essaient sans succès à l'art de la tortilla. Elles n'ont pas le coup de main atavique, mille et mille fois répété d'Espéranza.

Quand tout le monde passe à table, je décide de rester en cuisine avec Espéranza et propose de l'aider à garnir les assiettes que son mari va servir sous la tonnelle. Nous bavardons. J'apprends qu'elle a 40 ans (elle en paraît 10 de plus) et 2 fils. Elle me demande mon âge et reste bouche bée quand je le lui dis:" Setenta y dos? Mais tu es bien plus âgée que ma mère et tu parais beaucoup plus jeune qu'elle!" Puis elle s'étonne que je ne sois pas sous la tonnelle avec les autres. Je lui explique aussi simplement que possible que je ne peux plus ni boire, ni manger. Je soulève mon T shirt pour lui montrer mon bouton de gastrostomie et en profite pour m'injecter 2 seringues d'eau pour m'hydrater. Espéranza se serait trouvée face à un extra-terrestre qu'elle n'en aurait pas été plus sidérée. Du coup, elle s'est arrêtée de travailler et me pose un tas de questions jusqu'à ce que son mari, mécontent, entre dans la cuisine pour la prier d'accélérer la cadence.

Deux mondes se sont rencontrés dans cette maisonnette de Chichicastenango. Celui d'Espéranza et le mien. Chacune a pu mesurer ce qui la séparait de l'autre mais chacune se souviendra de l'autre et de l'échange qu'elles ont eu ensemble.

Commentaires (1)

aline
  • 1. aline | 17/03/2020
Une nouvelle preuve de ta grande résilience et de ton sens de l'humour , Françoise . J'en suis toujours admirative, dans une situation pas facile à vivre tous les jours , malgré l'habitude et l'acceptation ! Tu es vraiment un exemple de référence !
Avec ce seul petit exemple, oh combien révélateur, on mesure le fossé entre l'état du savoir et des pratiques médicales entre culture occidentale et culture amérindienne, même s'il est vrai que certains français tomberaient de haut aussi comme cette Esperanza.
Sa stupéfaction face à l'OVNI que tu étais pour elle me rappelle une anecdote dans un tout autre contexte. J'ai eu deux gastrostomies. Une fois en hospitalisation, une patiente, intriguée par la gastrostomie, me demande à la voir . Aucun tabou pour moi . Sa réaction ébahie : ah, c'est pas bête , tu peux choisir dans quel trou tu mets le bouton et varier !!! Et en plus, tous les jours un menu différents, voire entrée par un !! Je n'y avais pas pensé ......et à dire vrai je n'ai jamais pensé à changer le bouton de place !!

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